Le coup de gueule de la Librairie des Grands Caractères. Lecture et malvoyance : des pratiques douteuses.

Posté le 01 / 04 / 2024

Le coup de gueule de la Librairie des Grands Caractères. Lecture et malvoyance : des pratiques douteuses

Une personne malvoyante entre dans la librairie 1 et nous explique, désespérée, que « même avec les livres en grands caractères » elle ne parvient plus à lire. Je lui propose de faire des essais, et il s’avère qu’elle lit parfaitement les ouvrages que nous proposons… Un miracle ? Pas du tout !

La raison est simple : les livres en grands caractères ne sont pas tous identiques en termes d’accessibilité. D’un ouvrage à un autre suivant les éditeurs, les différences sont même considérables. Résultat : certains sont lisibles pour un lecteur malvoyant, d’autres non.

Mais, pour une personne venant nous voir, combien abandonnent la lecture uniquement parce qu’ils ont eu entre les mains des livres mal adaptés?

Pour qu’un livre soit accessible à une personne malvoyante, il ne suffit pas d’agrandir la police de caractères. Les règles à suivre sont simples, mais elles doivent prendre en compte plusieurs paramètres : il faut utiliser des caractères bâtons – typographies sans empattements – ; avoir un interlignage conséquent ; des espaces optimisés entre les lettres et entre les mots ; un papier ni trop blanc ni transparent ; une encre mate ; une impression très contrastée.

C’est, a minima, l’ensemble de ces paramètres qui rendra le livre réellement accessible, et pas juste un ou deux. Or certains éditeurs de livres en grands caractères s’obstinent à ignorer ces règles pourtant faciles à trouver et à appliquer. Ces éditeurs s’en affranchissent sans vergogne et bien souvent en toute connaissance de cause.

Mais pourquoi ces éditeurs proposent-ils des livres si mal adaptés ? Pourquoi ne rendent-ils pas leurs livres accessibles au plus grand nombre ?

Parce que faire de l’accessibilité une priorité, implique du travail et des coûts. Respecter ce cahier des charges 2, c’est accepter de se plier à des contraintes de mise en page et de fabrication qui ont un prix. Ces éditeurs, qui semblent plus soucieux de leurs dividendes que de leurs lecteurs, ont visiblement choisi de ne pas s’embarrasser avec ces contraintes.

L’édition de livres en grands caractères est une économie qui repose presque entièrement sur les acquisitions des collectivités – bibliothèques et médiathèques. Or, les bibliothécaires, qui ne peuvent bien évidemment pas être des spécialistes de tout et ignorent souvent les besoins spécifiques des lecteurs malvoyants, font leurs acquisitions en toute confiance, s’en remettant aux éditeurs estampillés « grands caractères » sur les sites de référencement des ouvrages, en supposant que ces éditeurs spécialisés connaissent leur affaire et proposent forcément des livres adaptés aux besoins de leurs lecteurs. En toute innocence, alors qu’ils sont convaincus en faisant ces acquisitions de remplir leur mission de service publique et d’être dans une démarche inclusive, ils deviennent bien malgré eux les acteurs et les complices d’un système dont les conséquences sont désastreuses pour les lecteurs.

Face à la nécessité – à l’urgence même ! – de faire de la pédagogie, et en l’absence de normes encadrant le marché de livres adaptés en grands caractères, nous soutenons toutes les initiatives de sensibilisation 3 destinées à faire connaître les besoins des lecteurs malvoyants aux personnes sur lesquelles reposent ce marché de livres en grands caractères. Dès sa création, la Librairie des Grands Caractères a déterminé et rendu public ses critères de sélection, expliquant en détail toutes les caractéristiques techniques indispensables pour qu’un livre en grands caractères soit vraiment accessible 4.

Il faut informer et faire comprendre. Car comprendre, c’est mieux accompagner et servir. Nos lecteurs ont besoin de livres accessibles et ne doivent pas être les victimes de pratiques douteuses.

 

Matthieu Rondeau

Fondateur de la Librairie des Grands Caractères

(1) La Librairie des Grands Caractères est la première librairie en France dédiée exclusivement aux ouvrages adaptés pour les personnes souffrant de déficiences visuelles, de difficultés d’apprentissage ou de troubles cognitifs. Elle accueille dans ses murs 14 éditeurs et plus de 1 400 ouvrages en grands caractères. Elle a reçu le « prix du service innovant 2022 », dans le cadre des Rencontres nationales de la librairie et du Grand prix Livres Hebdo des librairies.

 

(2) Dès sa création, en janvier 2021, la Librairie des Grands Caractères a publié et expliqué ses critères de sélection. Ils ont été repris dans Livres Hebdo et ActuaLitté. L’association Les Amis des Grands Caractères a édité une brochure explicative et pédagogique 7 clés pour une lecture fluide et accessible avec les livres en grands caractères (avril 2023) destinée à tous les acteurs de l’édition accessible. Plusieurs études scientifiques ont été publiées ces dernières années, dont une d’ampleur sur la police de caractères Luciole, créée pour les malvoyants, dans la revue américaine Acta Psychologica (vol. 236, juin 2023).

 

(3) Guide des bonnes pratiques pour des bibliothèques inclusives (Éd. Voir de près – novembre 2022) ; Des livres pour la jeunesse accessibles en grands caractères pour des écoles et des bibliothèques plus inclusives (Éd. Voir de près – juin 2023) ; Lecture et malvoyance, des livres en grands caractères pour des bibliothèques inclusives (Éd. Voir de près – février 2024) et 7 clés pour une lecture fluide et accessible avec les livres en grands caractères (Association Les Amis des Grands Caractères – avril 2023).

 

(4) Les éditions de la Loupe, Feryane, Libra Diffusio et leur sous-marque Gabelire et Ookilus n’ont à ce jour fait aucune modification de leur maquette et de leurs typographies afin de rendre leurs ouvrages accessibles aux malvoyants et ne proposent que des ouvrages en lecture de confort… et encore!

Le coup de gueule de la Librairie des Grands Caractères. Lecture et malvoyance : des pratiques douteuses

Comparaison entre les livres en corps 16 et 20

de différents éditeurs en grands caractères

typographies avec empattements

interlignage trop faible

espaces entre les lettres trop rapprochés

papier trop transparent

typographies sans empattement

interlignages importants

espaces entre les lettres et entre les mots (approches optimisées)

bonne opacité du papier

Le coup de gueule de la Librairie des Grands Caractères. Lecture et malvoyance : des pratiques douteuses